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Nadine Baboy rencontre Sébastien Ministru !

Nadine Baboy rencontre Sébastien Ministru !

Désintégration Culturelle

Sébastien Ministru (S) : Désintégration culturelle. De ce que j’ai compris, j’ai l’impression que c’est un énorme va et vient très athlétique dans plusieurs cultures : culture de la musique, de la danse et du corps. C’était ça le projet de départ ? Ce grand mixage ? 

Nadine Baboy (N) : Exactement. Désintégration culturelle, c’est un voyage. Artistique, multiculturel. Un voyage où le métissage est le fil conducteur de la pièce. J’avais envie de métisser mes différentes influences par rapport aux arts choisis. On a choisi de mélanger la poésie, la danse, l’expression musicale, …

En effet, les styles de danse sont très variés.On part du hip-hop en passant par le flamenco vers la dancehall. Je voulais quelque chose d’assez contemporain dans le métissage. Il y a aussi du stepping. Il y a des influences Krump mais aussi de dance clubbing (house dance, voguing,..).

Désintégration culturelle est à l’image de ma vision de l’art et ma vision de la culture. Quelque chose de métissé, qui voyage et qui s’inspire de différentes influences dans ce voyage qu’est la vie. 

S : Ce sont des richesses qui ajoutent aux richesses. 

N : Exactement. 

« Le spectacle est toujours le même mais le public peut, à chaque fois, le vivre comme une nouvelle expérience. »

Une évolution

S : Le spectacle a visiblement quelque chose de vivant et d’organique puisqu’il a évolué depuis quelques années. Ça veut dire que ce spectacle est toujours présent en toi, il continue à vivre ? Un working progress ? 

N : Un spectacle dit “fini” est toujours en cours d’évolution. Être vivant c’est bouger. Puisque le spectacle est vivant, il bouge. Il évolue donc. Constamment. 

Il y a encore des choses que je voudrais finaliser. je vois le spectacle comme une série de pièces de puzzle. Et là, je pense qu’on est à la dernière ligne droite où la dernière pièce du puzzle permet de présenter le tableau dont j’ai toujours rêvé.

S : Donc là on est proche de ton fantasme de base ? 

N : Il y a encore beaucoup de choses mais là je peux dire que la pièce est aboutie. Maintenant, il faut savoir que ce spectacle n’a jamais été joué deux fois de la même manière. Oui, on a la même structure, le même fil conducteur. Le spectacle est le même mais on ne le fait pas de la même manière. L’expérience est à chaque fois nouvelle. 

Un titre

S : Parlons évidemment du titre. Il est non seulement emblématique. C’est une scène initiatique du spectacle. Quand on lit le titre, même si on n’a pas vu le spectacle, cela nous met la puce à l’oreille. Car Désintégration culturelle fait écho évidemment à son contraire, à l’intégration culturelle. Pour vous, Nadine et Hervé, l’intégration culturelle, sociale c’est quelque chose qui nous pousse à rentrer dans le rang, à baisser un peu la voix, la tête et à perdre certaines de nos richesses initiales ? 

N : De ce que j’ai vu, pour être accepté, il ne faut pas faire tâche. Il faut pouvoir se fondre dans la masse. Oui faire tâche, c’est quand tu es trop différent, quand tu dénotes. On a grandi dans une société qui ne nous a pas appris à embrasser nos différences. Il faut les cacher, les masquer et les gommer.

“Attention, il faut que tu parles français mais tu ne dois pas avoir un accent trop étranger”

S : Oui, ce sont des schémas de domination sociétale. Si on veut être accepté, il faut déjà être content d’être accepté et en plus il ne faut pas se faire remarquer.

Un ‘cliché’

S : Toi Nadine, tu as aussi dû renoncer à ton identité pour te ranger dans la masse ? 

N : Chez les Belges, en Europe, on m’associe très vite à  ma couleur de peau. Alors que parmi mes paires, on peut me coller cette étiquette de “Bounty”.  C’est péjoratif et cela traduit le fait que je ne rentre pas dans ce cliché de la version d’une congolaise que peuvent s’en faire les gens.”Ah tu  fais des trucs de blanc !” Cela veut dire quoi ? 

J’ai des amis de différentes cultures, mes meilleurs amis sont congolais. A quel moment est-on réellement considéré.e comme congolais ? 

S : Il faut alors faire face et combattre ces stéréotypes ! 

N : Évidemment. Il existe mille façons d’être congolais.e.s. Je suis issue du métissage. Je suis noire de peau donc mon métissage ne se voit pas sur ma peau. Mais il est réel. On ne demanderait jamais à du orange d’être jaune, ou rouge. On accepte qu’il soit orange. Ainsi, le résultat de qui je suis vient du mélange de cultures dans lequel j’ai grandi. Je suis une identité à part entière. J’aime le terme “Afropéen” dans lequel je me connecte. 

« Nadine c’est quelqu’un de solaire, c’est quelqu’un qui travaille uniquement sur la générosité »

Une identité

S : J’ai parlé avec une personne qui a travaillé avec toi Nadine. Elle m’a dit : Nadine c’est quelqu’un de solaire et quelqu’un qui travaille uniquement sur la générosité. Est-ce que tu es ok avec ces deux qualificatifs ? 

N : Oui. Je réalise que mon battement de cœur c’est de bénir les gens avec ce que j’ai reçu.

S : Bénir ? 

N : Oui. Je veux que les gens reçoivent à travers les dons que j’ai reçus. Donc, si à travers la danse, je peux transmettre la joie, c’est ok. Si à travers la danse, je peux inspirer quelqu’un à se reconnecter à son cœur d’artiste, c’est ok. Je me vois comme un arbre. Et un arbre ne mange pas ses fruits. Si ce que je produis en tant qu’arbre à travers mon art peut nourrir les gens, c’est ok. Et c’est cela, moi, qui me nourrit. 

S : C’est-à-dire que tu considères ton art comme quelque chose de très maternel et de sacré ? 

N : Je n’y avais même pas pensé. 

S : Hervé, toi tu la connais bien. Solaire, généreuse, maternelle, sacrée.

Hervé Loka Sombo (H) : Ce sont en effet des qualificatifs qui peuvent lui être accordés. Je rajouterai que Nadine est intègre et passionnée. Elle fonctionne à la passion et cela rejoint très fortement le côté généreux.

La place de la femme

S : As-tu remarqué que dans les mondes du slam, de la danse, du théatre, .. c’était plus compliqué pour toi car tu es une femme ? Est-ce que ces milieux sont sexistes, selon toi ? 

N : Par rapport au slam, je n’ai pas ressenti de discriminations. Dans le slam, il y a cette ouverture qui laisse place à la parole peu importe le sexe. Les gens sont à l’écoute. Dans la danse en tant que telle, pas vraiment. Cependant, j’ai eu l’occasion de faire beaucoup de casting dans le milieu commercial notamment pour la télévision. Là on sent une différence homme-femme. Les candidats masculins sont moindres que les candidats féminins. Au niveau de la compétition entre les femmes, c’est énorme. L’aspect visuel est mis en avant dans les conditions de sélection. J’ai été témoin de l’hypersexualisation de la femme en tant que danseuse. Surtout dans le milieu du showbiz. La femme doit être sexy.

S : Oui, c’est un milieu où on n’est pas encore suffisamment déconstruit. Et toi, Hervé, en tant qu’homme, quel est ton avis ? 

H : Je pense que dans le milieu de la danse, il y a plus de facilités pour les femmes que pour les hommes tout simplement parce que les femmes sont plus nombreuses et naturellement on accorde plus le mouvement dansé à une femme. Il y a plus d’opportunités je trouve. Ensuite, entre les femmes, c’est la guerre. La compétition est rude. J’ai plus vu de la compétition que de l’entraide entre elles. 

J’émet quand même une nuance : ce serait un mensonge de prétendre que les femmes ont véritablement un parcours plus facile que les hommes. Tout n’est pas aussi évident. Et enfin, je rejoins Nadine sur l’hypersexualisation du corps de la femme. Et c’est compliqué.

RDV ces 22, 23 et 24 septembre 2022 au Théâtre Varia pour les représentations de Désintégration Culturelle de Nadine Baboy.

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